Phrynis Pavillon assymétrique

Une conférence est organisée le mardi 14 novembre 2023 à 14h30 dans les locaux du PHONO Museum Paris, le musée du son enregistré.

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Cylindres, disques et enregistrements magnétiques :

des collections privées au service des collections publiques

par Henri Chamoux,

docteur en histoire, ingénieur d’étude à l’ ENS de Lyon, (LARHRA-CNRS)

Les enregistrements sonores de la première moitié du XXe siècle, dont le nombre fut incroyablement élevé, sont aujourd’hui connus pour leur rareté, leur richesse, et leur fragilité. Pour des raisons diverses, une bonne part de ces productions sonores a échappé aux circuits académiques de conservation, et le rôle des collections privées est de combler les lacunes du dépôt légal, ou du moins de donner accès aux contenus réputés perdus. 

En s’appuyant sur des exemples concrets et illustrés, avec quelques auditions de fragments sonores anciens insoupçonnés, cet exposé évoquera les découvertes, les cheminements, ainsi que les rencontres qui permettent la mise à disposition gracieuse de leurs contenus en ligne, et conduisent parfois à la sortie de ces documents du cercle privé vers les archives publiques.

Cette conférence est soutenue par le Centre national de la musique.

A l’occasion de la publication de son dernier livre consacré à Féodor Chaliapine, nous avons le grand plaisir de vous annoncer que Sylvie Mamy donnera une conférence au musée le

Mardi 17 octobre à 19h


Séance d’enregistrement

Né en 1873 dans la ville de Kazan, en Russie, dans un milieu très pauvre, Feodor Chaliapine a commencé sa carrière en sillonnant les bords de la Volga dans des compagnies théâtrales nomades. Grâce à ses dons exceptionnels, très jeune, il a pu accéder aux prestigieuses scènes des théâtres impériaux, à Saint-Pétersbourg et à Moscou. C’est en 1908, avec la compagnie formée par Serge Diaghilev, qu’il a chanté pour la première fois à l’Opéra Garnier, éblouissant le public parisien dans l’un de ses rôles emblématiques, le Boris Godounov de Moussorgsky.

Féodir Chaliapine en Boris Godounov

Aussi grand chanteur que grand acteur, Chaliapine s’est imposé sur les plus grandes scènes européennes, américaines et du monde entier dans des rôles très différents : le tsar Ivan le Terrible (dans la Pskovitaine de Rimski-Korsakov), le Vieux-Croyant Dossifei – qui entraîne son peuple à s’immoler sur le bûcher- (dans la Khovanchtchina de Moussorgsky), le Meunier qui devient fou lorsque sa fille, par chagrin d’amour, se jette à l’eau (et devient Roussalka). Il interpréta aussi, avec une grande force comique, le Don Basilio dans le Barbier de Séville de Rossini, le rôle satanique de Méphistophélès dans le Faust de Gounod, ainsi que le Don Quichotte, un opéra écrit spécialement pour lui par Massenet. 

Chaliapine fut l’un des premiers grands chanteurs d’opéra à pouvoir écouter sa voix et la faire entendre à travers le monde par le moyen de 78 tours. Il a réalisé ses premiers enregistrements pour la firme  Gramophone dans des hôtels, à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Il enregistra à Paris, dès 1908, avec le chœur des théâtres impériaux ; ensuite à New York pour la Victor Talking Machine Company. Dans les années 1920, la Gramophone a pu l’enregistrer en live, pendant ses spectacles, dans les grandes salles d’opéra londoniennes. Dans les années 1930-1934, exilé désormais à Paris, Chaliapine a encore effectué de nombreux enregistrements à la Salle Pleyel. Grâce aux progrès du phonographe, puis de la T.S.F., ces concerts ont pu se diffuser parmi des milliers d’amateurs de musique qui n’avaient pas accès aux grandes salles de concert. Proche de la Gramophone,  et de Fred Gaisberg, le directeur en Angleterre de la firme, lui-même participa activement à la promotion des phonographes. Nous évoquerons aussi le rôle important que joua Gaisberg, lorsque le grand artiste russe décida de quitter définitivement l’URSS, dans les années 1921-1922, pour s’installer à Paris. 

Chaliapine s’écoute grâce à un Gramophone

En projetant de nombreuses photos, Sylvie Mamy parlera des grands rôles de Chaliapine, en même temps qu’elle nous fera écouter sa voix, telle qu’elle était entendue à son époque, c’est-à-dire sur d’anciens 78 tours, et grâce aux phonographes, machines aussi prodigieuses qu’insolites conservées au PHONO Museum Paris.

Féodor Chaliapine par lui-même

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Musicologue et écrivain, Sylvie Mamy est directrice de recherche émérite au CNRS (Paris). Elle est l’auteur de nombreux ouvrages et articles, consacrés principalement à l’histoire de l’opéra baroque vénitien (elle a reçu le « Grand Prix des Muses 2012 » pour sa biographie de « Vivaldi » publiée chez Fayard). En 2017 elle a été nommée « Chevalier des Arts et Lettres ». Ces dix dernières années, elle s’est dédiée à sa seconde passion, la culture et la musique russes. Après de longues recherches dans les archives parisiennes, elle a publié aux éditions YMCA-Press (Les Éditeurs Réunis), à Paris, une volumineuse biographie de Feodor Chaliapine, qui a permis pour la première fois de mettre en lumière la carrière française de la grande basse russe.

 

Des exemplaires du livre de Sylvie Mamy seront disponibles à la vente lors de la conférence

Christopher Andrew Maier est historien, artiste, pianiste, compositeur et enseignant chevronné. Il présente au cours de cette conférence Eldridge Reeves Johnson qui créa la Victor Talking Machine Company en 1901 et perfectionna le Gramophone à ressort pour offrir une musique de qualité au monde.

Dans ce one man show multimédia original, les images numériques et les vidéoclips sont  soigneusement préparés par Maier, tissant une tapisserie visuelle d’informations historiquement exactes enrichies d’anecdotes personnelles et de théories contemporaines étayées par des preuves.

Au PHONO Museum Paris

53, boulevard de Rochechouard

Le dimanche 26 mars à 17h

Entrée libre

Phrynis Pavillon assymétrique
Phrynis Pavillon assymétrique

Machine parlante à disques

TRANSNATIONAL PHONOGRAPHY

Conférence & Concert

13.05.2022 

19h – Phonomuseum Sankt Georgen im Schwarzwald (Allemagne)

15.05.2022 

15h – PHONO Museum Paris (France)

avec

Elodie A. Roy

Eva Moreda Rodriguez

Graham Dunning

Sascha Brosamer

Dinah Bird

Hank Strummer

TRANSNATIONAL PHONOGRAPHY

propose une lecture élargie et (décentrée) du terme ‘phonographie’ au-delà de la notion d’inscription sonore. Les intervenants – conférenciers et artistes – interrogent la phonographie comme une vaste pratique socio-matérielle, collective et vibrante, qui englobe activités d’enregistrement, de collection, de diffusion et d’écoute. Ils rendent hommage aux nombreux intermédiaires, matériaux, machines, imaginaires et lieux qui ont jalonné les débuts de l’industrie du disque de la fin du dix-neuvième au début du vingtième siècle. Cet événement multidisciplinaire et itinérant ouvre un dialogue entre l’industrie, la science, l’art, la musique et la culture populaire à travers des conférences, des discussions et des concerts. Il imagine aussi de nouveaux espaces où penser les cultures phonographiques d’hier en lien avec les pratiques et habitudes culturelles d’aujourd’hui. L’événement aura lieu au Phono-Museum de Sankt Georgen im Schwarzwald (Allemagne, Forêt Noire), lieu clé de l’industrie phonographique allemande et berceau de la marque DUAL, et au PHONO Museum de Paris (Xe), qui retrace plus de 160 ans d’histoire du son enregistré.

PROGRAMME:

CONFÉRENCE: 

Elodie A. Roy

« Close at a distance: Emergent intimacies of the early phonograph era »

Eva Moreda Rodriguez

« Before the recording industry: Imaginaries of the phonograph, 1877-1897 »

CONCERT:

Graham Dunning & Sascha Brosamer

« Performance avec gramophones et platines »

Radio Feature 

by Dinah Bird

Victor Maurel dans le rôle de Iago (Otello)

Le vendredi 15 octobre dernier s’est tenu au PHONO Museum Paris une conférence dédiée aux créateurs et créatrices des rôles phares du grand répertoire lyrique au carrefour des XIXe et XXe siècles.

A l’instar de Rosa Raïsa (la première Turandot) ou Victor Maurel (créateur d’Iago et Falstaff), on pouvait y entendre des documents sonores accompagnés par des images et notices biographiques sur Mary Garden, Maria Jeritza, Lotte Lehmann, Olive Fremstad, Selma Kurz, Lucien Muratore, Manuel Fleta, Mattia Battistini, Emma Calvé, Maurice Renaud, Lilli Lehmann, Francisque Delmas, Emmy Destinn, Francesco Tamagno,Olive Fremstad, Gemma Bellincioni, Fernando de Lucia, Elisabeth Rethberg, Richard Tauber, Gilda dalla Rizza.

La conférence a été donnée par Stefano van Catalano, chef d’orchestre. Le conservateur du musée, Jalal Aro, a aidé dans la compréhension de chaque technique d’enregistrement, de la gravure cylindrique en cire, verticale ou latérale en gomme-laque aux pavillons en bois, métal ou cristal et toutes leurs qualités.

Voici le texte de cette conférence.

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On commence cette conférence avec un monument, la chanteuse allemande Lilli Lehmann, dont Reynaldo Hahn disait « elle était la plus grande technicienne vocale de l’histoire du chant ». Pour Richard Wagner, elle créa en 1876 trois rôles dans sa tétralogie :  Woglinde dans L’Or du Rhin, Orthlinde dans La  Walkyre et l’oiseau de forêt dans Siegfried.  Seule chanteuse pouvant chanter en mêle temps et avec réussite Lucia un soir suivi le lendemain par Brünhilde, elle possède le répertoire le plus étendu qui n’ait jamais existé et nous laisse un traité sur le chant considéré comme référence absolue.  C’est elle qui fonde le festival de Salzbourg en 1901. Ses disques sont rares car enregistrés dans une série à un âge (58 ans) où la plupart des sopranos avaient déjà arrêté depuis 10 ans, mais Madame Lehmann comme vous voyez, n’a rien de frêle et ni de délicat et ses choix correspondent : de L’enlèvement au Sérail de Mozart, le premier air torture de Constance : Ach ich liebte, 1907.

Avant Brigitte Bardot elle s’est battue pour les droits des animaux. Parmi ses  derniers mots avant de mourir, « Pourquoi n’ai-je plus de temps pour apprendre ? ….l’art est trop difficile et la vie trop courte.« 

Vient ensuite la création mondiale d’Otello de Verdi en 1887, opéra pour lequel on trouve deux protagonistes qui nous ont laissés des documents sonores exceptionnels de ces rôles.  En Otello, la voix dite « le plus glorieux ténor robusto de l’histoire« , Francesco Tamagno, choix voulu par Verdi et air qui devient son cheval de bataille qu’il chantera dans le monde entier jusqu’à sa mort prématurée à 54 ans. Pour Verdi il créa aussi Gabriele Adorno dans la version révisée de Simone Boccanegra en 1881 : Ora e per sempre addio, 1903.

Tant que Tamagno a été un proche de Verdi, le baryton français Victor Maurel, qui créa pour lui le rôle de Iago, puis celui de Falstaff en 1893, entretenait des rapports beaucoup plus conflictuels avec le grand maître du lyrique italien, ceci à cause d’une arrogance débordante peu appréciée. Toutefois le Marseillais, grand comédien, était vu comme plus grand baryton verdien de son époque, bien que ses collègues français Jean Lassalle et surtout Maurice Renaud avaient des voix plus impressionnantes. Parmi d’autres rôles fétiches qui contribuent à sa renommée internationale, on cite souvent Don Giovanni de Mozart et Hamlet d’Ambroise Thomas. En 1892 il rajoute à son Palmarès la création de Tonio en Pagliacci de Leoncavallo.  Ici il chante avec aplomb Quando ero paggio, tiré de Falstaff, 1907.

Gemma Bellincioni a été une des plus importantes chanteuses du XIXe siècle. Avec la  roumaine Hariclea Darclée, la première Tosca, dont récemment un enregistrement privé a été découvert et estimé aux enchères à 1.2 millions de dollars chez Southeby’s, la Bellincioni partageait tout le répertoire de l’école « veriste », créant Santuzza en Cavalleria Rusticana en 1890 ainsi que Fedora pour Giordano en 1898 avec le jeune Enrico Caruso. En 1906 elle est la première Salomé en Italie. Verdi était très admiratif de son interprétation de Violetta à La Scala en 1886, mais malgré ses compliments, le compositeur ne lui propose pas le rôle de Desdemona pour sa création d’Otello l’année suivante, ceci peut-être par rapport à un style qui quitte pour toujours le soin de la ligne belcantiste.  Cette approche quasi improvisée trouve son exemple dans l’enregistrement de Ah fors’é lui qui date de 1903.

Son enregistrement de l’air de Santuzza laisse perplexe car musicalement presque  incompréhensible et se trouve sur YouTube. Madame Bellincioni  a aussi joué avec succès dans plusieurs films muets.

Ses disques donnent une idée très mitigée de son art, son partenaire pour Fedora allait rapidement comprendre comment faire  pour que l’enregistrement  devienne témoignage du grand chant et moyen pour populariser l’opéra.

 

Enrico Caruso enregistre officiellement pour la première fois dans une chambre d’hôtel à Milan en 1902. Précédé par son succès fulgurant en Fedora, puis la création de Maurizio dans Adriana Lecouvreur  la même année, ces deux séances allaient lancer sa  renommée internationale et encourager d’autres grandes voix italiennes à oser l’expérience devant un pavillon.  Ces premiers pas n’ont rien de la certitude et de la maîtrise du ténor des ténors que l’on connaitra plus tard, mais Caruso prend ses repères et nous témoigne d’une douceur non-barytonale qui marque ses débuts.  En publicité, on se sert toujours d’une photo prise en 1892 montrant le ténor drapé d’une couverture de lit utilisée in extremis puisque sa seule chemise était à la laverie.  Amor ti vieta, le tube de Fedora, avec le compositeur au piano.

 

On reviendra plus tard à ce ténor tant aimé, mais tout d’abord, une expatriée en Russie, Medea Mei-Figner, Figner pour son mari ténor Nikolaï  Figner. Quittant Florence en 1887 après avoir commencé un belle carrière en mezzo-soprano, puis rajoutant de plus en plus des rôles de soprano, elle s’installe à Saint Petersburg avec son mari, rencontré d’ailleurs en Amérique du Sud pendant une production de « Favorite ». Pendant 15 ans ils deviennent le couple artistique incontournable en Russie Impériale, jouant presque toujours ensemble sur scène. En 1888, elle rencontre Tchaikowski afin de lui demander des conseils dans la préparation d’Eugène Onegin. Le compositeur écoute et bouleversé  lui dit de ne rien changer, car elle incarne la Tatyana qu’il aurait toujours voulu. Toute de suite, il lui confie la création de Lisa dans la Dame de Pique en 1890, puis Iolanta en 1892, les Figners faisant depuis partie de son cercle intime d’amis. En 1900 elle sera la première Mimi en Russie après avoir étudié le rôle avec Puccini. Ses disques sont extrêmement rares : ici on l’écoute dans un rôle qu’elle chante depuis ses débuts de carrière, Carmen.

En même temps que Mei-Figner fait sensation au Marinsky, Giuseppe Borgatti se dévoile comme le  plus grand « heldenténor » italien de tous les temps. Avant d’être choisi par Toscanini pour incarner le premier Siegfried en Italie en 1899, il créa le rôle d’Andrea Chénier à La Scala, remplaçant aux pieds levés Alfonso Garulli  en 1896, démontrant une puissance barytonale jusqu’alors uniquement associée avec les ténors héroïques allemands.Son succès est tel qu’en 1904 il sera le premier ténor italien invité à se produire à Bayreuth. Ici il chante le récit de Lohengrin qui provoque le cataclysme de la scène finale, 1919.

La carrière de M. Borgatti a été coupée nette en 1914, où, à la suite d’une maladie, il est devenu aveugle.  Il continuait à enregistrer puis à enseigner jusqu’à sa mort.

 

Maintenant on passe à la création qui annonce la « French Connection », L’amico Fritz de Mascagni.  Pour créer son héroïne  Suzel en 1891, Mascagni choisit Emma Calvé, phénomène de la Belle Epoque, considérée comme la plus grande Carmen de tous les temps, rôle qu’elle chante mille fois dans le monde entier.  Devenue personnage mythique d’un rare dynamisme, Massenet écrit la Navarraise pour elle en 1894 ainsi que Sapho en 1897. Afin de soutenir l’entrée des forces américaines dans la Première guerre mondiale, elle chante la Marseillaise devant 30 000 personnes enthousiasmées  à New York. D’une générosité excessive , après avoir mené une vie de reine, elle meurt complètement démunie d’une cirrhose du foie en 1942. Ses disques ont tendance à décevoir tant elle avait besoin de public pour activer sa magie, en revanche son enregistrement de Il est doux, il est bon de Massenet’s Hérodiade nous donne une petite idée,  1908.

Le partenaire de Calvé pour « L’amico Fritz » était Fernando de Lucia, ténor fétiche à qui Mascagni confie par la suite les créations de I Rantzau, Silvano, et Iris. Aujourd’hui considéré comme étant grand belcantiste, presque tous ses succès de l’époque ont été dans le répertoire vériste; il sera le premier Canio en Pagliacci à Londres, et on lui demande de chanter aux funérailles de Caruso. D’une voix courte et pas particulièrement puissante, il se révèle dans la maîtrise des nuances et d’un phrasé à l’ancienne, enregistrant un bonne partie de ses disques en-dessous de la tonalité d’origine, comme dans son Je crois d’entendre encore de 1906.

Avec ce professeur de Georges Thill, on passe en France au début du XXe siècle.  1902 voit la France musicalement propulsée dans l’époque moderne avec la création de Pelléas et Mélisande.  Contestée par Maeterlinck  mais nullement par Debussy, c’est l’écossaise Mary Garden qui incarne Mélisande.  Appelée la « Sarah Bernhardt du lyrique »  ses plus grandes créations seront selon elle « des créatures spirituelles », parmi lesquelles elle compte Mélisande, Thaïs, et le rôle de Massenet qu’elle créa en Amérique, Jean, dans Le Jongleur de Nôtre-Dame. Ecrit pour ténor, ce n’est pas Massenet, mais le baryton Maurice Renaud qui insiste pour que Garden chante le rôle en version soprano afin d’appuyer sur  l’innocence du personnage. Le succès sera retentissant, et malgré le plaisir qu’elle aura à créer Chérubin pour Massenet en 1905, rôle spécialement écrit pour elle, c’est le petit jongleur qui restera son expérience la plus touchante. Liberté de 1911.

La contralto Jeanne Gréville-Réache artageait la scène avec Mary Garden dans le rôle de Geneviève lors de la création de Pelléas.  Sa carrière se lance grâce aux efforts de Emma Calvé et Pauline Garcia-Viardot en 1899. Suite à une dispute avec Albert Carré, elle quitte l’Opéra-comique pour Bruxelles et Londres, et, à partir de 1907, devient très populaire au Manhattan Opéra de New York, où elle défend brillamment tout le répertoire français, en particulier les rôles de Dalila, Charlotte et Carmen, un peu le pendant de Marie Delna à Paris. Dotée d’une « des plus belles voix du siècle » selon Oxford, cette étoile filante meurt subitement à l’âge de 32 d’une intoxication alimentaire. Enceinte de six mois, son agonie emporte également l’enfant.  Ecoutons Mme. Gerville-Réache dans l’air des pleurs tiré de Werther de Jules Massenet, 1909.

Maurice Renaud a joui d’un réputation internationale pour la grande beauté de sa voix de baryton ainsi que pour la maîtrise de son jeu.  Il a participé à plusieurs créations d’opéras assez populaires au début du siècle mais depuis tombés dans l’oubli, comme Sigurd de Reyer en 1884 ou Salammbô en 1890 du même compositeur.  Ses créations pour Massenet dans Le Jongleur de Notre-Dame 1902 ou Chérubin avec Mary Garden 1905 contribuent à faire jouer ces œuvres dans le monde entier, car il suivra Garden aux Etats-Unis en 1907 avec Athanaël en Thaïs. Son interprétation de Méphisto dans la première mise en scène de la Damnation de Faust de Berlioz en 1893 complète son palmarès.  Les éloges de Garden à son égard sont sans bornes en ce qui concerne l’artiste; toutefois elle reste réservée par rapport à son manque de générosité sur scène. Ses disques sont rares; ici un des rôles wagnerien qu’il chantait en français, Wolfram et sa Romance de l’étoile tiré de Tannhäuser, 1903.

Maintenant un vraie rareté pour clore la partie française, car nulle part au monde sauf dans cette pièce.  Georgette Bréjean-Silver, créatrice de la fée dans Cendrillon de Massenet en 1899 et pour laquelle le compositeur, tellement convaincu par son interprétation de Manon, écrit une gavotte alternative dans la scène cour la reine, connue sur le titre Fabliau.  Décédée à Neuilly en 1951, le conservateur du PHONO Museum Paris Jalal Aro, a pu récupérer quelques titres de ses descendants qu’elle a refusé de faire publier, le précisant bien avec NON mentionné sur le disque !  Ecoutons de Thaïs, Qui te fait si sévère, 1905.

La création mondiale de Butterfly à La Scala 1904 fut un des pires fiascos dans l’histoire de l’art  lyrique italien.  Malgré des éloges de l’orchestre dès la première répétition et une distribution de rêve, l’augmentation exagérée du prix des places et d’autres facteurs inexplicables ont mené au désastre. Un public remonté n’hésitait pas à participer à l’événement, un spectateur criant au moment où une bouffée d’air arrive de derrière les coulisses et fait gonfler le kimono de la héroïne : « Cio-cio san est enceinte! » Bien sûr lorsqu’elle revient au moment clé du deuxième acte montrant l’enfant né depuis le départ de Pinkerton, le pandémonium commença : hurlements vulgaires, rires hystériques, sifflements —le cirque continua jusqu’à la fin du spectacle, la salle répondant aux chants d’oiseaux dans  l’orchestre avec des grognements de cochons et d’autres interventions grotesques.  Rosina Storchio, artiste tant  aimée de l’époque, n’arrivait plus à chanter la scène finale tellement elle pleurait.  Elle avait déjà crée pour Leoncavallo Musetta dans sa « Bohème » 1897 et Zaza en 1900, ainsi que Siberia pour Giordano en 1903, mais dans bien d’autres conditions.

On l’entend dans son répertoire de prédilection, le Bel Canto, chanter « O luce di quest’anima  » de Donizetti, 1905.

La Scala retire Butterfly de suite et Puccini écrit à Ricordi qu’il se sent comme un criminel, mais on verra avec le temps.

Il révise l’œuvre en coupant presque 45 minutes et réaménageant en trois actes. Trois mois plus tard on organise dans le petit théâtre de Brescia un reprise avec celle dont Puccini dira plus tard « elle a sauvé ma Butterfly« , la soprane ukrainienne Salomea Kruscelnytska. Cette grande chanteuse, protégée de Gemma Bellincioni,  avec laquelle on se disait privilégié de partager la scène, avait une voix immense et souple, et créa Elektra de Strauss en Italie en  1910, d’où après le succès fulgurant de la révision de Butterfly, une évolution s’est produite dans deux types de voix associées avec le rôle, Butterfly lyrique comme Storchio, qui a repris le rôle à La Scala et le chantait jusqu’à la fin de sa carrière,  et dramatique, de notre époque bien démontré par une Butterfly de Moffo versus celle de Leontyne Price.  Ecoutons Salomea Kruscelnytska dans Puccini, cette fois-ci « Vissi d’arte » de Tosca, 1903.

Celui qui a pris le rôle du Consul Sharpless dans les deux versions de Butterfly était le baryton italian à qui on accrédite une des plus longues carrières du lyrique, dû à une technique et stabilité personnelle infaillible, Giuseppe de Luca. En 1902 il crée à côté de Caruso et Angelica Pandolfini  le rôle de Michonnet dans Adriana Lecouvreur. Sharpless l’amènera à Londres en 1905 et il couronna ses créations avec celle de Gianni Schicchi au Metropolitan Opera de New York en 1918.

Il chantera sans jamais affaiblir ses moyens pendant 50 ans avant de devenir professeur au Juilliard de New York. Ici on l’entend avec l’autre célèbre chanteur doté  d’un legato d’une perfection presque inégalée, Bengiamino Gigli , en 1930 : « Ah Mimi tu più non torni » de « La Bohème ».

La première Butterfly à Londres  sur scène avec Giuseppe de Luca en 1905 sera la soprano  tchèque qui, en protégée de Cosima Wagner, avait déjà eu un énorme succès à Bayreuth en Senta, 1901, Emmy Destinn.  Suite à sa Butterfly à Londres, Richard Strauss lui demande de créer Salomé pour Berlin et Paris, resté sur sa faim avec Marie ou « tante » Wittich, qui trouva le rôle trop indécent. Destinn triomphe avec Aïda au Met 1907 et à Paris, puis créa au Met avec Caruso, La Fanciulla del West en 1910. Ils restent proches, et le chagrin de Caruso et immense lorsqu’elle sera assignée  à domicile avec interdiction de quitter Prague par les autorités autrichiennes pendant toute la première guerre mondiale.  L’ampleur et pureté de sa voix, très difficile à enregistrée, se retrouve captée sur peu de disques. Ici on l’entend dans la Valse de Musette, « La Bohème »1911.

Puisque Caruso chantait à côté d’Emmy Destinn pour la création de Fanciulla mais étrangement, après avoir enregistré quasi tout le répertoire possible pour ténor, ne laissera même pas l’adieu de Dick Johnson pour la postérité, on vous propose une rareté, sa toute première version de Vesti la giubba de Pagliacci, ni 1904, ni 1908 qui se sont vendues comme des petits pains, mais celle de 1902 à Milan, la plus féroce et déchirante. Enrico Caruso.

On aurait pensé logique qu’en 1907, Destinn fasse la création américaine de Salomé après Berlin et Paris, mais finalement c’est la suédoise Olive Fremstad, élève de Lilli Lehmann, qui portera cette lourde tâche et le scandale sera total. Dans son zèle de préparation, Fremstad a demandé aux pompes funèbres de New York de pouvoir porter une vraie tête tranchée afin de vérifier combien elle devrait chanceler  sous son poids sur scène. Evidemment son interprétation réaliste a tellement choqué le public que l’opéra est banni pendant 17 ans du Met. Commençant en mezzo, Fremstad est devenue avec Gadski et Nordica une des grandes soprano wagnériennes de l’époque. Lorsqu’elle quitte la scène et s’essaie à la pédagogie, mais sa pratique d’initiation qui consistait en montrant une tête humaine déchiquetée dans un bocal rempli de formol afin d’étudier le larynx et cordes vocales a dû tellement horrifier ses élèves potentiels que cela a été sans suite. Interrogée, elle a répondu incrédule qu’il s’agissait d’ une première épreuve afin de voir si l’élève avait l’étoffe pour faire carrière ! Elle a laissé peu de documents sonores, mais de la chanson « Long, long ago » de 1911 nous témoigne qu’après plus que 200 apparitions en Brünhilde, Kundry, Venus, Sieglinde, Elsa et Isolde elle était capable de nous livrer un bel hommage à son professeur de par la pureté, beauté et aisance de son émission. Olive Fremstad.

Malgré toute l’admiration que Puccini portait envers Emmy Destinn, il a déclaré avoir trouvé sa Mimi idéale dans la voix de Gilda dalla Rizza, lui confiant la création du rôle de Magda dans « La Rondine » en 1917. Elle créa Suor Angelica et Lauretta en Gianni Schicchi en Europe deux ans plus tard. Elle est restée la soprano préférée de Puccini, prévue pour Liù en Turandot, mais à la création en 1926, sa voix était devenue trop lourde.  Document qui montre une voix charnue et puissante mais souple, « L’altra notte in fondo al mare » de Mefistofele d’Arrigo Boito, 1924, année de la mort de Puccini. Gilda dalla Rizza.

On repasse une dernière fois en France, avec le ténor le plus populaire de sa génération, Lucien Muratore.  Créateur de plusieurs rôles, aucun qui a intégré dans le répertoire, on cite Ariane et Bacchus de Massenet, Roma du même, Déjanire de Camille Saint-Saëns, et Pénélope de Fauré. Découvert par Emma Calvé, il débute avec elle dans La Carmélite de Hahn en 1902. Doté d’une voix brillante avec expressivité intense, il est invité par Mary Garden à Chicago où il triomphe comme partout. En 1931 il quitte l’opéra et redevient comédien, exactement comme il avait commencé à l’Odéon en partenaire de Sarah Bernhardt et Réjane avant de se prendre conscience de ses moyens vocaux.  Ici un de ses tout premier cylindres, la chanson à boire de , chanté en français, 1903.

Bref virage en Autriche avant de finir avec Turandot,  rôle que ces deux sopranos ont chanté avec un  énorme succès.

Maria Jeritza et Lotte Lehmann. Jeritza a même crée Turandot au Met, donc on commence avec elle. La « bombe de Moravie » comme on l’appelait a été choisi par Strauss pour créer son Ariane à Naxos dans la première version de 1912 (ce qu’elle décrit comme « complètement chiant« ) et la révision de 1916, dans laquelle la jeune Lotte Lehmann dans le rôle sera révélée.  A partir de ce moment les deux vont se détester à vie. L’électricité est palpable sur scène donc Strauss et les directeurs de l’opéra de Vienne essaient le plus souvent possible de les programmer ensemble. Elles vont créer « La Femme sans ombre » pour lui en 1919, Jeritza l’impératrice et Lehmann la femme.  Les débuts de Jeritza en Tosca au Met seront sensationnels et les premières américaines de non seulement Turandot, mais Jenufa de Janacek, Tote Stadt de Korngold et Ägyptische Helena de Strauss lui seront confiées. Comédienne d’un instinct et  charisme hors pair, Tosca préférée de Puccini, dotée d’une voix volumineuse de grande beauté, il est quasiment impossible de s’imaginer son effet sur scène à partir de ses disques vides d’émotion ; elle avait besoin d’un public, sinon elle s’ennuyait vite. Ici la prière d’Elisabeth, « Allmächtige Jungfrau », enregistré en 1927.

Lotte Lehmann, dont la beauté vocale n’avait rien à envier à Mme. Jeritza, reste toutefois une artiste d’un autre genre. Possédée par la justesse du phrasé, de l’expression, de l’humanisme dans la musique, elle reste une interprète privilégiée de Strauss, qui lui confie aussi la création de son Intermezzo en 1924, et la première à Vienne d’Arabella en 1933. Elle sera aussi la première Turandot à Vienne et la Suor Angelica préférée de Puccini, ainsi que probablement la plus célèbre Marschallin du XXe siècle. Dès les années 30, elle se spécialise dans le Lied devenant  une de ses  plus grandes interprètes. Elle écrit des nombreuses œuvres sur l’interprétation et fonde l’Académie de Musique de l’Ouest à Santa Barbara, où elle décède en 1976. Sur sa tombe à Vienne est une citation de Strauss : « Sie hat gesungen, dass es Sterne rührte » (Quand elle chantait, les étoiles étaient émues). Ici dans son autre rôle phare, Leonore de Beethoven, 1927.

Rosa Raisa, soprano russo-polonaise, avait été décrite par Toscanini comme une « Tamagno femelle« , la voix tellement puissante que les critiques en Amérique ainsi qu’en Europe affirmaient ne jamais avoir entendu une chose pareille.

Elle chante Francesca da Rimini de Zandonai un mois après sa création à La Scala et Puccini l’entend. Très impressionné il revient lorsqu’elle chante la création mondiale de Nerone, oeuvre posthume de Boito en 1924. Il lui dit qu’il travaille sur quelque chose pour elle; sa réaction est qu’elle espère qu’il y mette pleins de contre-ut ! La distribution est annoncée en 1924 mais Puccini meurt et 2 ans doivent s’écouler avant que l’œuvre soit achevée par Alfano. Enfin en 1926 Raisa créa un deuxième rôle posthume, Turandot, en 1926. Elle l’abandonna peu de temps après,  commençant à sentir son déclin vocal. Aucun des disques de Rosa Raisa ne réussit à capter l’immensité des volumes qu’elle produisait; toutefois on ne pouvait pas la mettre directement devant le micro, la plaçant souvent au milieu de l’orchestre ! En tout cas la voix partait en flèche, comme en témoigne ce disque du Miserere tiré de Trovatore de 1921.

On termine avec le premier à avoir chanté « Nessun Dorma », le grand ténor espagnol Miguel Fleta.  Au sommet de sa gloire après avoir créé Romeo pour Zandonai à Rome dans  Giulietta e Romeo, 1922, Toscanini insiste pour qu’il soit pris pour la création posthume de Turandot, malgré leur altercation à l’occasion de ses débuts à La Scala en Duca, lorsque Toscanini refusa de lui permettre des cadences trop élaborées.  Ce sera la consécration de sa carrière, même s’il l’abandonne juste après, jugeant le rôle trop lourd.  Luciano Pavarotti fera la même chose 50 ans plus tard, retenant uniquement le célèbre air, que malheureusement Fleta n’a jamais enregistré. En revanche, il nous laisse en témoignage de son art l’année de son Romeo pour Zandonai une des plus belles versions jamais mise sur disque de l’air de la fleur de Carmen. Miguel Fleta.

Grâce aux dons hors commun et personnalités affirmées, parfois exacerbées de ces interprètes, les grands compositeurs à la fin du XIXe siècle comme tant d’autres avant eux, ont trouvé une inspiration supplémentaire, leur permettant de donner naissance à des chefs d’œuvre incontestés.  Ils méritent toute notre reconnaissance.

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Liste des artistes et airs ayant fait l’objet d’une audition pendant la conférence

ArtistesOeuvres –  Compositeurs –  Air –  Date

Lilli Lehmann – L’enlèvement au Sérail – W.A Mozart – Ach ich liebte – 1907

Francesco Tamagno – Otello – G. Verdi – Ora e per sempre addio – 1903

Victor Maurel – Falstaff – G. Verdi – Quando ero paggio – 1907

Gemma Bellincioni – La Traviata – G. Verdi – Ah fors’é lui – 1903

Enrico Caruso – Fedora – U. Giordano – Amor ti vieta

Giuseppe Borgatti – Lohengrin – R. Wagner – 1919

Emma Calvé – Herodiade – J. Massenet – Il est doux, il est bon – 1908

Fernando de Lucia – Les pêcheurs de perles – G. Bizet – Je crois d’entendre encore – 1906

Mary Garden – Le jongleur de Notre-Dame – J. Massenet – Liberté – 1911

Jeanne Gréville-Réache – Werther – J. Massenet – L’air des pleurs – 1909

Maurice Renaud – Tannhäuser – R. Wagner – Romance de l’étoile – 1903

Georgette Bréjean-Silver – Thaïs – J. Massenet – Qui te fait si sévère – 1905

Rosina Storchio – Linda di Chamounix – G. Donizetti – O luce di quest’anima – 1905

Salomea Kruscelnytska – Tosca – G. Puccini – Vissi d’arte – 1903

Giuseppe de Luca – La Bohême – G. Puccini – Ah Mimi tu più non torni – 1930

Emmy Destinn – La Bohême – G. Puccini – Valse de Musette – 1911

Enrico Caruso – Pagliacci – R. Leoncavallo – Vesti la giubba – 1902

Olive Fremstad – Th. Haynes BaylyLong long ago – 1911

Gilda dalla Rizza – Mefistofele – A. Boïto – L’altra notte in fondo al mare – 1924

Lucien Muratore – Cavalleria Rusticana – P. Mascagni – Chanson à boire – 1903

Maria Jeritza – Tannhäuser – R. Wagner – Allmächtige Jungfrau – 1927

Lotte Lehmann – Fidelio/Leonore – L. van Beethoven – 1927

Rosa Raisa – Le Trouvère – G. Verdi – Miserere – 1921

Miguel Fleta – Carmen – G. Bizet – Air de la fleur – 1922

 

Olive Fremstad

Une nouvelle conférence au musée le samedi 12 octobre à 16h.

Des Frères Jacques aux Cinq de Cœur, de Pow woW à Opus Jam, des Double Six aux Voice Messengers, des Blue Stars à Souingue, des Parisiennes aux Coquettes, des Masques à Zazou’ira, rencontre autour des groupes vocaux français des années 30 à nos jours, dans toute leur diversité : leur histoire, leurs influences, leur identité, leurs collaborations.

Pour en parler, autour de Rémi CARÉMEL (auteur du blog « Dans l’ombre des studios »), six invités exceptionnels :

-Alain CHENNEVIÈRE, chanteur du groupe Pow woW.

-Hubert DEGEX, pianiste, arrangeur et chef d’orchestre des Frères Jacques.

-Claudine MEUNIER (The Blue Stars of France) et Jean-Claude BRIODIN (Les Troubadours), chanteurs dans une douzaine de groupes vocaux des années 50/60/70 dont Les Double Six, The Swingle Singers (lauréats de plusieurs Grammy Awards), Les Masques, Les Fontana, Les Angels, Les Riff, etc.

-Rose KRONER et Sylvain BELLEGARDE, chanteurs du groupe The Voice Messengers.

Entrée à partir de 10€ (possibilité de faire un don ; un reçu fiscal sera fourni). Réservation conseillée via Hello Assos.

L’intégralité des recettes sera versée à l’association Phonoplanète, qui aide à la préservation du PHONO Museum Paris, musée de la musique enregistrée, tenu par des bénévoles. 

Jalal Aro, conservateur du PHONO Museum Paris, répondra aux questions des visiteurs sur tous les détails historiques ou techniques.

Etre un musée vivant, tel est un des objectifs du PHONO Museum Paris. Mais un musée vivant, qu’est-ce-que cela veut dire ? Beaucoup de choses dans la gestion du fonds du musée, bien sûr, mais au delà, permettre aux visiteurs autre chose que de regarder un objet derrière une vitrine. Au musée, on peut faire fonctionner les machines parlantes. Car toutes ou presque sont en état de marche.

Et les faire fonctionner, pourquoi ? Pour que les visiteurs retrouvent le son du passé, entendent comment nos ancêtres écoutaient de la musique. Mais on peut aussi faire autre chose.

Stéphane Catalano est chef d’orchestre et directeur musical de l’orchestre Musica Sconosciuta. D’origine austro-sicilienne, il vit aujourd’hui en France. Il est venu visiter le musée et, en écoutant des disques sur les phonos, lui est venue une idée : réécouter des disques anciens sur des machines de la même époque. Nous avons organisé une conférence avec auditions le 10 mars dernier avec des disques et des cylindres choisis dans le fonds du musée, des enregistrements de chants, Stéphane Catalano étant spécialiste du lyrique et aussi sélectionné les machines pour les écouter. La période choisie pour les enregistrements va de 1900 à 1930. Une expérience passionnante, vivante, humaine, artistique et aussi technique.

Présentons les quatre phonos retenus pour cette conférence. Ils ont été sélectionnés minutieusement par Stéphane Catalano et Jalal Aro, conservateur du musée.

Jalal Aro à gauche et Stéphane Catalano

De gauche à droite nous avons :

Le Fontanophone : de 1909 et d’origine française, cet appareil à double bras de lecture de disques et donc à double pavillons très colorés permettait d’avoir un volume suffisant pour les salles de danse. Son usage était donc public. On y écoute des disques à gravure verticale avec un saphir et une vitesse de rotation variant de 80 à 130 tours par minute.

Le Victor School : de 1912 et d’origine américaine était un appareil pour lecture de disques à gravure latérale à fins pédagogiques. La pointe de lecture est en acier et à usage unique si on ne veut pas abimer le disque. Son utilisation était donc publique (écoles) et son pavillon en bois tout à fait remarquable.

Le Pathé S : de 1908 et d’origine française, la vitesse de rotation des disques est de 60 à 100 tours par minute. Il avait vocation à être plutôt utilisé dans des endroits avec du public.

Le Pathé Céleste : de 1900 et d’origine française, cet appareil à cylindres avec une vitesse de rotation de 140 à 160 tours par minute, fut le premier conçu pour synchroniser son et image au cinéma. Notez le pavillon en cristal.

Voilà les appareils sur lesquels les disques et cylindres choisis ont été joués.

Le texte de la conférence donnée par Stéphane Catalano est ci-dessous mais vous pouvez le télécharger sous format PDF.

Léon Beyle

Débuts à l’opéra 1897, l’Opéra-Comique s’empare de lui 1898; il y reste 22 ans, son plus grand succès est Werther 1903, rôle dans lequel il est considéré comme idéal. Il enregistre la première intégrale de Faust en 1912. Voix puissante, qui avec Edmond Clément, représente un style plus nuancé qui allait se distinguer de l’école italienne.

Mignon – Elle ne le croyait pas – 1903

https://youtu.be/jSZsQddVkKY

Mais commençons avec la « vielle école » et

Félia Litvinne, né Schütz en 1860.

D’origine russo-germanique et franco-canadienne, dernière élève de Pauline Viardot, elle a genre de voix « à la Malibran ou Falcon » dans cette lignée très rare, avec des graves puissants et une couleur riche dans le médium qui permettait des rôles de contralto – pourtant elle chantait facilement jusqu’au contre-ut et vocalisait aisément dans les hauts-registres – ses plus grands succès ont été dans des rôles sopranes wagnériens, mais elle restait un modèle de Marguerite dans Faust. Germaine Lubin disait d’elle « elle possédait la flamme », ce qu’on comprend en lisant qu’à partir de 1904 on l’estimait la meilleure Alceste de l’histoire du lyrique, une apparence pratiquement mystique. Peu de ses disques ont pu le capter, mais un cylindre du récitatif et « Air des Bijoux » jamais disponible témoigne bien de son art, sûrement connu par Gounod même, grâce à Pauline Viardot. Egalement valable, et pour vous montrer en revanche l’étendue de cette voix dramatique, je vous ai choisi du Cid de Massenet, « Pleurez mes Yeux », 1908

Le Cid de Massenet – « Pleurez mes Yeux », 1908

Nellie Melba, née Helen Armstrong en 1861.

Elle a une voix de l’âge victorien plus qu’une expressivité moderne. Melba maîtrisait avec une volonté de fer sa technique vocale et sa carrière. Dure, même antipathique avec ses collègues, elle refusa de saluer le ténor John McCormack après « La Bohème », jugeant son niveau inférieur au sien. A sa décharge, peut-on dire que son succès finalement phénoménal passait par maints échecs et déceptions, Paris étant une des première villes qui lui souriait. Malheureusement elle a fait détruire tous ses premiers cylindres de 1895, pourtant on a des disques londoniens de 1904, qui donnent une idée de la force de sa personnalité et un superbe sens du style archaïque à l’anglaise, parfait pour Händel (notez-bien le trille d’un ton changé parfaitement en demi-ton – plus personne ne possède cette technique). Elève de Marchesi, la maîtrise du souffle trouve sa base dans la maîtrise de la ligne par les coloratures, plus que dans une recherche de rapport souffle – ouverture/fermeture lente ou la « messa di voce », plus évident avec Félia Litvinne. Le résultat est néanmoins spectaculaire, cette école fait référence pour des chanteuses telles que Sembrich, Tetrazzini et Calvé. J’ai choisi « Sweet Bird » 1904.

Ceux et celles qui n’adhéraient pas exclusivement à ces écoles mais, comme Léon Beyle, cherchaient une nouvelle vérité vocale toujours sur la base belcantiste commençaient à se manifester de plus en plus. Tant qu’Emma Calvé assimilait la leçon de Mathilde Marchesi, lui permettant de chanter les envols d’Ophélie dans Hamlet ainsi que de se façonner la dite meilleure interprétation de Carmen de tous les temps – rôle qu’elle chantera plus de mille fois et que tristement aucun de ses disques ne réussissent à projeter – Mary Garden refusera après quelques cours l’enseignement d’une autre époque, écrivant dans ses mémoires, « l’idée que Marchesi fasse de moi une machine à coloratures m’était insupportable ! » Cela n’empêcha qu’elle admirait beaucoup Nellie Melba. Toutefois cette première Mélisande allait rentrer dans l’histoire du lyrique en tant que actrice lyrique ou « bombe de scène », comme quelques années plus tard Maria Jeritza à Vienne (la première Ariadne et Femme sans Ombre). Malheureusement Garden détestait tous ses disques à peu d’exceptions, d’où mon dilemme à trouver une chanteuse de cette époque transitionnelle qui nous a laissé des documents sonores représentatifs …

et voilà que je tombe sur Marie Delna. Orpheline abandonnée en 1875, elle reçoit l’enseignement du chant de sa grand-mère, et à l’âge de 17 ans, se fait repérer par Léon Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique, où la Parisienne débute avec Didon dans les Troyens de Berlioz; un an plus tard, Massenet la choisit pour créer Charlotte dans Werther, elle n’a que 18 ans. Elle n’abuse jamais de son instrument et chante avec succès dans le monde entier. Tandis que dans certains rôles son abord s’appuie sur des conventions du passé, elle commence à briser le cadre avec Carmen en 1901, rôle qu’elle chantera 800 fois, juste derrière Emma Calvé, et avec aplomb dans un rôle qu’elle créa encore, La Vivandière de Godard

On entend les deux qui datent de 1903/04 « Séguedille » et « Viens avec nous petit »

https://youtu.be/IrqTjKexiB8

Mais revenons aux hommes, et surtout la catégorie plus délicate, les ténors …

Francesco Tamagno , né en 1850, la voix qui « faisait trembler le lustre de La Scala ». Il a été considéré comme le plus plus grand ténor verdien du 19ème siècle et créa Othello en 1887, rôle qu’il chanta dans le monde entier. La robustesse de sa voix pousse vers ses limites l’idée d’une vocalisme poitrinée pleine voix qui se sert de chaque résonateur du crâne disponible. Depuis que Gilbert Duprez a émis le premier contre-Ut de poitrine en 1831, son jugé d’une laideur totale par Rossini, il y avait toujours et même jusqu’au début du 20ème siècle des ténors qui continuaient à mixer le falsetto au-dessus du passage, ça veut dire à partir du sol jusqu’à si, ut et plus loin, mais Tamagno représentait un modèle du chant « pleine voix » avec un maximum de mordant, ou « squillo », chose qui rendait le contre-ut possible mais très difficile. Bien sûr il chantait « Di quella pira » dans la transposition traditionnelle de Si majeur.

Di quella pira – 1904

Niun mi tema – Morte d’Otello 1904

Auguste Affre, né 1858 à Saint-Chinian, était appelé le « Tamagno français » et représente justement l’équivalent en utilisant la morphologie, voir la technique typiquement française. Tandis que la voix italienne, comme langue maternelle, fait appel à l’ouverture de l’oxypute pour renforcer la voyelle, la voix française concentre toute sa puissance dans le masque, sollicitant de manière plus limitée le crâne, permettant à la voix de monter, mais souvent sans l’ampleur associée aux voix italiennes. Nellie Melba fera ses débuts à Paris en Lucia avec Affre, et son extrait de la Favorite témoigne de la beauté de son instrument qui toutefois ne craint rien devant un contre ut plaqué devant et devrait rappeler celui de Duprez.

Ange si pur – Favorite, 1911 avec orchestre (je préfère 1904 avec piano!)

Albert Vaguet , qui naît à Elbeuf en 1865 et chante à l’Opéra Garnier pendant 13 ans est en quelque sorte le pendant de Léon Beyle à l’Opéra-Comique, des ténors à la base lyriques mais avec un socle technique solide leur permettant la prise des rôles normalement considéré trop costauds pour leur capacité vocale (ce qui fait justement penser à notre cher Roberto Alagna). Tandis que Tamagno et Affre restaient dans l’exploit et la puissance vocale, Vaguet cherche des effets de mixage pour souligner les textes et n’hésite pas à timbrer la voix. Il débute en 1890 avec Faust, rôle qu’il chante 300 fois à Garnier, passant par des rôles belcantistes héroïques aux grandes parties wagnériennes. Son départ en claquant la porte de l’opéra en 1903 reste un mystère, mais remonte éventuellement au stress dû à l’alternance incessante de rôles trop divers. Toutefois il continue à enregistrer pour Pathé jusqu’à en 1918. Comme on estimait Léon Beyle LE Werther idéal et Albert Vaguet LE Faust idéal, il me semble juste, puisque Beyle a eu les honneurs en premier Faust sur disque, de laisser M. Vaguet prendre sa revanche avec :

Pourquoi me réveiller de Werther, 1909 (Notez-bien l’absence absolue d’agiustamento pour les aigus – « ReveilléEEEEEEEEEEEE!)

Le cylindre Pathé avec sa boite

Sur la première vidéo, vous verrez comment on ajuste la vitesse de rotation du cylindre pour avoir le bon tempo. La seconde donne l’audition au bon rythme.

https://youtu.be/vLHiq5OuDyk
https://youtu.be/3lp260dTmHI

Enrico Caruso, né 1873 et mort 48 ans plus tard à Naples, est probablement le ténor qui a su par ses moyens exceptionnels de quelle manière mieux équilibrer les registres et leur puissance sans sacrifier la rondeur et douceur du son, bouclant une symbiose qui fera date. Malgré sa réputation initiale de « ténor de verre » (des canards dans les aigus), il s’est vite fait remarquer en Italie, et suite à la création de Fédora à La Scala sous la direction du compositeur Giordano, il est assailli de propositions. En 1900 Puccini l’entend et s’exclame que Dieu lui a envoyé le jeune ténor. Il transpose l’air de Rodolfo pour Caruso, qui n’arrivait pas à tenir un contre-ut, afin qu’il chante le premier La Bohème à La Scala, dirigé comme pour la création mondiale à Turin par Arturo Toscanini. C’est à cette époque que Tamagno lui même prédit que Caruso sera le plus grand du 20ème siècle. Fasciné par l’enregistrement de la voix, il va étudier comment placer le corps et changer la position de la tête selon le registre pour se faire mieux capter par le pavillon; suite à ses débuts spectaculaires au Met à NewYork en 1903, il signera avec Victor pour faire plus que 450 disques, dont le succès sera planétaire et servira à démocratiser l’opéra pour tous ceux qui n’y avaient pas accès. Son enregistrement de 1907 de « Vesti la giubba » sera le premier disque à se vendre à un million d’exemplaires.

De 4 ans plus tard écoutons un autre des 4 best-sellers de Caruso (les 2 restant étant M’appari et Ombra mai fu) – Celeste Aïda.

Après Caruso, on ne peut que descendre, donc descendons.

Francisque Delmas, notre premier baryton, ou baryton-basse, a délaissé une carrière internationale pour rester fidèle au Palais Garnier où, pendant 42 ans, il chantera plus de 60 rôles, y compris des créations mondiales, la plus importante étant Thaïs avec Sybil Sanderson en 1894.

Né à Lyon en 1861, il fait ses débuts suite à ses études dans le rôle de basse Saint Bris des Huguenots de Meyerbeer en 1886. En écoutant sa Bénédiction des poignards, enregistré pour Pathé en 1904, on a du mal à imaginer la voix monter aux sommets d’extase d’un Athanaël, mais c’était justement ce fond allié à une technique parfaite qui ont permis à Delmas une extension vocale impressionnante. Il reste un des chanteurs les plus appréciés de l’histoire lyrique française.

Meyerbeer – Les Hugenots – Bénédiction des poignards – 1904

Avec Titta Ruffo, né 1877 à Pise, on passe de l’élégance française à une force de nature. Connu en tant que « La voix du Léon », ses premiers professeurs affirmait qu’il n’avait ni voix, ni talent musical — il a suivi l’instruction de son frère jusqu’à ses débuts prudents à Rome. Son succès à partir de 1900 est phénoménal. Bien que moderne dans son objectif d’atteindre l’équilibre parfait entre exploit vocal et subtilité de phrasé, la personnalité rugueuse de Ruffo l’amène à pousser vers l’extrême. Admiré par ses collègues, y compris Caruso et premier Iago Victor Maurel, le grand Giuseppe de Luca disait de lui : « Ce qu’il avait n’était pas une voix, c’était un miracle », rajoutant après « qu’il a détruit finalement en gueulant trop ! ».

En tout cas il a eu au moins 20 ans d’une santé vocale insolente, nettement plus que la plupart des chanteurs d’aujourd’hui.

Pour témoigner écoutons son Credo d’Iago de 1914.

Après Ruffo il faut descendre encore; allez, descendons dans la cave avec une des plus grandes basses françaises de tous les temps,

Paul Aumonier. Né à Paris 1872, il ne voulait pas devenir chanteur : sa voix en a décidé autrement. Fraichement sorti du conservatoire il fait ses premiers disques pour Pathé à l’âge de 25 ans, puis entame ses premiers contrats. Il rentre à l’opéra en 1914. Il avait parmi les plus beaux graves naturels « comme une flèche » de toutes les basses, comme temoigne son « Pif paf » des Huguenots avec ses Fas graves.

Pour finir l’ère acoustique on écoute quelques enregistrements d’ensemble clé, car déjà seul c’était compliqué de bien enregistrer, à deux ou plusieurs, ça frôlait des actes acrobatiques.

Melba/Caruso – O soave fanciulla 1907 : c’est le seul enregistrement des deux monstres sacrés ensemble. Melba admirait la voix de Caruso mais trouvait son comportement vulgaire; ceci n’a pas empêché qu’elle s’est laissée guider par lui afin que sa voix ne se déforme pas devant le pavillon et c’est un document rare dans lequel on aperçoit le vibrato délicat et régulier de l’australienne. Contre le timbre charnu et persuasif du ténor, elle devient plus expressive. Puccini aimait tant la Mimi de Melba qu’il lui a demandé de chanter Butterfly; après quelques semaines avec la partition, elle devait déclarer forfait, toujours consciente des limites de sa voix, trop lourde pour elle. Concernant le contre ut de Melba à la fin, Mary Garden décrit l’expérience en salle dans ses mémoires : « C’était comme une étoile filante : on ne savait pas d’où il venait, mais il passait au-dessus de nos têtes vers l’infini… »

En 1917 Amelita Galli-Curci, Marcel Journet, Giuseppe di Luca, Enrico Caruso, Louise Egener et Antonio Bada se sont retrouvés dans le New Jersey pour enregistrer des ensembles y compris le célébrissime sextuor de Lucia « Chi mi frena in tal momento« . Caruso l’avait déjà mis sur disque à deux reprises, avec Sembrich et Tetrazzini, mais l’interaction chimique entre ses six chanteurs ce jour là, le 25 janvier, pendant qu’une guerre apocalyptique ravageait leurs patries, et peut-être à cause de cela, en utilisant la seule défense contre la bêtise humaine, la culture, ils ont réussi un exploit d’élan expressif sans jamais pour autant sacrifier une structure homogène complètement transparente. Galli-Curci avait chanté Lucia juste deux fois avec Caruso à Buenos-Aires en 1907, sinon ils n’ont jamais chanté ensemble, aussi à cause des efforts de Nellie Melba pour l’écarter de chaque scène où elle régnait incontestée. En Galli-Curci, né à Milan en 1883 et complètement autodidacte, Melba a reconnu une rivale d’une école qui n’avait rien à voir avec les repères qu’elle a connus. Galli-Curci, malgré une maladie qui coupa court sa carrière, allait par son pathos et sa palette de couleurs liée à une technique époustouflante, marquer sa génération de la même manière que Caruso.

Antonio Scotti/Enrico Caruso – « Solenne in quest’ora » 1906

Né à Naples en 1866, Antonio Scotti fait ses débuts à La Scala en 1898 et déjà un an plus tard au Met à New York en Don Giovanni de Mozart où il est vite devenu une vedette de par l’élégance et la force de ses interprétations. Ami proche de Caruso, les deux chantent souvent ensemble dès un premier Rigoletto, débuts du ténor, en 1903, et se ressemblent même vocalement, d’où ce témoignage émouvant : difficile à distinguer au début qui est qui. Après 34 ans de carrière entre New York, Londres, Milan et Paris (en particulier la tournée spectaculaire du Met au Théâtre du Châtelet en 1910), Scotti décide de passer ses dernières années à Naples, où malheureusement son ami déjà parti, il meurt seul dans une pauvreté abjecte en 1936. Il n’y a que quatre personnes qui accompagnent son cercueil.

Passons alors à quelque chose de drôle pour la dernière partie. En 1922 l’enregistrement électrique voit le jour. On n’a pas chômé à capter des voix fraîches, mais étant donnée la nouvelle marge sonore, maints chanteurs qui avaient déjà enregistré de façon acoustique optèrent pour refaire des titres, comme notamment le ténor Beniamino Gigli.

Gabrielle Ritter-Ciampi née à Paris en 1886 ; son père italien, le chanteur Enzo Ciampi, avait tourné avec Adelina Patti. Faisant ses débuts en 1917 avec Traviata, elle devient vite célèbre en France pour des rôles mozartiens qu’elle chante aussi à Salzbourg. Possédant une voix limpide, elle sera la dernière chanteuse à oser le rôle titre dans Esclarmonde de Massenet avec son sol suraigu en option dite « de la tour Eiffel » en 1931-34 avant la reprise célèbre de Joan Sutherland 40 ans plus tard (qui ne chante pas le sol). Souvent comparée à Patti par sa pureté de timbre, elle chante ici de Manon la scène, Cours la reine – 1925

En 1929 la jeune draguignanaise Alice-Joséphine Pons se fait rejeter par l’Opéra de Paris après avoir débuté à Mulhouse dans Lakmé et chanté avec succès dans toute la France. Tentant sa chance à New York, le grand ténor Giovanni Zenatello la recommande au directeur du Met, Giulio Gatti-Casazza, et en javier 1931 elle fait des débuts fracassants à New York en Lucia avec Gigli et Pinza. Les Américains ne lâchent plus de la « Frenchie », elle y restera 28 ans, fera même des films à Hollywood. Le ténor Giacomo Lauri-Volpi écrivait d’elle que jamais il n’a connu une voix aussi fine d’une aussi longue étendue qui portait dans une grande salle. Même Gatti-Casazza écrit dans ses mémoires qu’avec « le déclin vocal évident de nos jours, il y a toujours des chanteurs comme Ponselle, Gigli, Pinza et Pons qui arrivent à porter le flambeau », pas un mince compliment. Son enregistrement de l’air des clochettes de 1930 reste une référence, malgré quelques petits manques d’articulation qu’elle va vite corriger – à entendre dans un film de 1936. Ses efforts appuyés à chanter pour les troupes alliées au front pendant la Deuxième guerre mondiale seront récompensés : elle triomphe à Paris en 1945 dans Lakmé et à la demande de la Ville de Paris chante la Marseillaise sur le balcon du Palais Garnier devant 250 000 personnes le 8 mai pour la Libération.

Gabrielle Ritter-Ciampi Manon la scène, Cours la reine – 1925 puis Lily Pons – Air des Clochettes – 1930

https://youtu.be/koZL1znu3dU

Du rayonnement français des deux côtés de l’Atlantique, on tourne vers probablement la dernière voix de l’époque dite de « l’âge d’or ».

Rosa Ponselle, née Rosa Ponzillo de parents italiens dans le Connecticut en 1897, commence sa carrière en tant que pianiste accompagnatrice des films muets puis s’amuse à chanter des duos avec sa soeur Carmela dans des théâtres du vaudeville. Sa voix est tellement hors norme sans enseignement vocal que l’agent de Carmela demande à Caruso de venir l’auditionner. Caruso, profondément ému par sa voix la recommande à l’impressario du Met, et quelques jours après la fin de la Grande guerre, avec uniquement la préparation du coach Romano Romani, un protégé de Puccini, elle fait ses débuts dans « La Force du Destin » de Verdi avec Caruso : une légende est née. Elle restera fidèle au Met par peur de perdre ses repères et ne chantera que trois saisons à Covent Garden à Londres et une fois à Florence en 1933. Elle travaillera tout le répertoire italien avec Romani, et la consécration de sa carrière sera Norma en 1927, dont avec Maria Callas, elle est considérée comme l’interprète la plus aboutie du siècle. On l’a surnommé « Le Caruso en jupons ». Elle quitte la scène précipitamment en 1937 suite au refus du nouveau directeur de monter Adriana Lecouvreur pour elle, mais elle a du sentir que le monde avait changé. Néanmoins elle entretient sa voix et enregistre même une collection de mélodies dans les années 50 – la voix est toujours sublime. Elle écrit que chaque matin elle allait au piano et s’essayait avec le trille et terminaison en piquées de la cabalette d’Ernani Involami – si cela marchait elle chantait, sinon, elle claquait le couvercle du piano et sortait faire autre chose. Ecoutons cet enregistrement référence.

Ernani Involami – (1923 non édité, extraordinaire, ou 1929, la référence)

Revenons en France pour achever notre cercle de chanteurs modernes de Léon Beyle à

Georges Thill. Parisien de naissance, il devient, jeune, mordu des disques de Caruso et les imite; pourtant son parcours au conservatoire est frustrant et il décide d’aller en Italie étudier avec Fernando de Lucia, grand belcantiste à Naples. Par lui, il trouve un équilibre entre l’émission classique française et une maîtrise de souffle à l’italienne qui lui permet de renforcer son médium et ses graves sans pousser dans le masque. De Lucia lui donne les outils pour faire une vraie symbiose qui, dès son entrée à l’Opéra, fera l’effet d’une bombe : Thill devient le spécialiste incontesté pour le style français du chant. Même si son émission reste devant, bien notée par Lauri-Volpi, son rapport à une voyelle qui reste posée sur le souffle, est pure, sollicitant des résonateurs naturels qui lui offrent une homogénéité, une clarté de diction et une aisance rare.

Avec Thill, l’art du chant français atteint son apogée.

Georges Thill – Salut demeure chaste et pure – 1930

 

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Alors, soyons honnêtes, nous ne sommes pas les premiers à avoir ce type d’approche. Déjà en 1947, Michel de Bry, membre de l’académie du disque français, avait eu l’idée comme le prouve le document « Michel de Bry, causerie 6 juillet 1947« 

Du 12 mars 2019 au 5 janvier 2020, le beau Cinématic du musée sera exposé au musée de l’histoire de l’immigration à Paris dans le cadre de l’exposition Paris-Londres Music Migrations (1962-1989).

« Du début des années 1960 à la fin des années 1980, de multiples courants musicaux liés aux flux migratoires ont transformé Paris et Londres en capitales multiculturelles. Paris-Londres Music Migrations propose un parcours immersif et chronologique pour traverser ces trois décennies décisives de l’histoire musicale des deux villes, et faire résonner un brassage inédit de rythmes musicaux avec les évolutions sociales et politiques, les transformations urbaines et les flux migratoires successifs qui ont marqué l’époque ».

Tel se présente le thème de cette exposition. Vous pouvez en savoir plus en lisant le dossier de presse ou sur le site du musée.

 

Le Cinématic, comme nous vous l’avons présenté dans un récent article, sera exposé pour recréer l’ambiance des années 60 dans l’exposition. Il sera en fonctionnement.

Notre participation, certes assez modeste, est un événement important pour nous. Le fait de collaborer avec une institution comme celle du musée de l’histoire de l’immigration est une reconnaissance pour le PHONO Museum de la qualité de son projet.